Manon  de Massenet à  Toulouse.

 Natalie Dessay: Non pas adieu à l’opéra!

Mais au revoir?

            La soprano française sera en tournée avec le compositeur  Michel Legrand  dès fin Octobre. Un répertoire de musique de variété qui la conduira  vers Les  Parapluies de Cherbourg. Elle a ainsi  fermé pour "congés ? sa carrière de cantatrice classique de soprano léger qu’elle suivit depuis 1990. Date à laquelle elle débuta à Toulouse, pour gagner en 1991, le Concours Mozart de la ville de Vienne (Autriche) pour le bicentenaire du compositeur.

Qui n ‘a pas chanté ou chantonné  « Adieu notre petite table », ne connaît pas l’opéra de Massenet, du moins  le style Massenet !

Un air. Un air avec toute sa nostalgie chargée à plein de larmes douces amères. Massenet dans cette longue pérégrination lyrique, son troisième  succès,

se montre portraitiste raffiné,  psychologue attentif  de la femme et scrutateur  de la mentalité et des mœurs  de cette époque dénuées  de tolérance.

N’oublions jamais cependant que l’œuvre éponyme de l’Abbé Prévost date  de 1731 et se termine dans le désert non loin de la Nouvelle Orléans.[1]

Un regard à cent cinquante années de distance, qui aurait dû alléger les habitudes françaises. Mais  la Révolution et  ses héritiers et liquidateurs Napoléon aidé de J.J.R.de Cambacérès[2]  avec le Code Civil se chargèrent de ravaler la condition féminine à son niveau d’étiage. Pour les droits de la femme ce fut l’hallali car sous l’ancien régime la situation fut meilleure.

Comme pour Traviata, Thaïs, Butterfly ou Mimi, à moins d’avoir de la fortune personnelle, la Femme  est une pauvre mineure parfaitement dépendante de son mari ! Une  victime rêvée. Surtout si elle doit travailler pour vivre.

Cet opéra composé par Massenet, grand  Prix de Rome  voit sa première en 1884 à Paris, à l’opéra comique. Jusque là  ses partitions musicales  avaient convaincu  un public « convenable » habitué à la musique certes, mais qui avait laissé le grand Berlioz [3]de l’autre côté du Rhin, du Main voire de la Vistule pour engranger le succès .Un public cependant qui courrait déjà à Bayreuth à ses heures, mais qui se régalera de drame parfois tragiques et cruels composés sur des paramètres plutôt traditionnels et classiques donnant dans la vaillance, l’héroïsme, la grandiloquence  avec des touches drôles et comiques tempérées de doucereuses envolées  puis  de nombreux  passages éthérés.

1884, Wagner a quitté ce monde depuis un an. Et  pour ma par  j’aime à penser que  Manon  porte, tout comme le Roi de Lahore et Hérodiade des traces d’influences du musicien allemand .ne serait-ce que dans la fluidité du discours et dans les thèmes qui sont exposés et répétés avec des variantes infinitésimales qui frôlent l’immobilité et cependant progressent irrésistiblement. L’accent prosodique souvent  et habilement décalé, le quasi absence de dialogues parlés et cette poignante tristesse sous le sourire…Qui se révèle plus insidieuse et plus pressante que de grands effets. Ces traits inhérents au style de Massenet font que, malgré l’apparence  de mièvres moments, cette partition  mérite  tout de même son succès quasi permanent pour la peinture parfaite  des évènements et des caractères.

Massenet n’appose pas  une musique sur une histoire et  son livret ;  le vers ou la prose sont tissés dans les partitions musicales. En cela il  suit le chemin  de  Georges Bizet dont il apprécia fortement les œuvres. Il composa en tenant compte du sens du drame et du discours afin d’articuler  sa partition en épousant véritablement le texte dans toutes sa diversité et ses rebondissements.

La musique de Massenet, et plus tard celle de Debussy, ne supportent pas   de tomber sous la main de chefs prompts à  enfourcher l’orchestre avec des idées  de brio, de conquête de l’espace sonore ;  des idées  d’un monde de contrastes marqués. L’univers de Massenet  est  d’élégance, de  nuance de forme en constante progression, mais avant tout de charme et d’harmonie. Ce qui n’empêche pas le caractère, le souffle et la puissance dramatique de ses opéras.

Cependant, il faut tout de même reconnaître que, seules cinq de ses œuvres dramatiques franchissent encore la barrière des feux de la rampe : Manon, Werther, Thaïs, Hérodiade et à la rigueur le Jongleur de Notre Dame. Ce n’est déjà pas si mal ! Car de son maître Ambroise Thomas ne demeure  qu’ Hamlet.

Toulouse ouvre donc la saison 2013- 2014 avec Manon et dans le rôle titre la soprano Natalie Dessay .Une partiequ’elle a mise à son répertoire  depuis pas mal de lustres  et dans laquelle aigus et variante pyrotechniques  se succèdent avec de belles acrobaties qui  parfois pourraient être nuancées  avec plus de finesse et d’à propos.  Les aigus sont là, bien qu’assez criards, le médium et les graves sont absents.

J’aime beaucoup Natalie Dessay. Elle fut superbe  dans deux rôles essentiels pour moi et  de façon authentique et bien dans son focal vocal, en toute affinité avec les personnages : La Poupée des Contes d’Hoffmann[4] et Zerbinetta[5]. Ainsi, n’en déplaise à certains (critiques ou public)  je ne pense pas que Manon lui ressemble véritablement. J’aurais aimé la voir se tourner vers l’avenir avec un récital. L’avoir entendue l’autre soir fit plaisir, mais je suis certaine que dans la carrière qui s’ouvre à elle à présent les paramètres et le répertoire  lui seront nettement plus profitables.

Le ténor en charge du rôle du Chevalier  des Grieux est l’un des plus mauvais ténors que je n’aie jamais entendu ! Je dis en charge !et ce n’est pas dans mon style. Car j’ai pour les chanteurs souvent beaucoup de compréhension.

Charles Castronovo est dans ses douze à quinze ans de carrière et il n’aligne plus un aigu techniquement assuré. La ligne de chant et le portamento sont au niveau de la ligne de flottaison d’un navire en détresse. Les attaques moles et son phrasé inexistant. Le timbre est épouvantablement vulgaire, sans aucune nuance. Enfin si ambitus il eut ? Ambitus il n’y a plus. Voici un des Grieux qui retournera dans son New York d’origine avec mes prières pour ne plus jamais l’entendre.

En revanche Robert Bork est un Comte Des Grieux bien dans sa ligne et dans sa voix. Hélène Delalande éclatante de  jeunesse  nous a donné une Rosette pétulante, coquine chantée d’une voix  m fraîche et conduite en souplesse comme   pour la Belle Hélène[6] l’hiver dernier.

Luca Lombardo campe un Guillot de Mortfontaine joué avec subtilité et à propos.

Le meilleur de la distribution est Thomas Oliemans. Un caractère d’une trempe théâtrale calée sur son rôle avec naturel et autorité.   Très à l’aise avec notre langue et doté d’une technique vocale claire, maîtrisée et dépassée par le talent d’interprétation du chanteur. Un timbre nuancé, agréable, un excellent souffle, des aigus solides, un médium et des graves fringants .Il pratique le récital de Lieder comme la musique sacrée et l’opéra. Thomas Oliemans est une valeur sûre, un instrumentiste de la voix et un comédien né.

La mise en scène de Laurent Pelly, par bonheur  basée sur des décors de Chantal Thomas, fortement influencés par l’art pictural  (1,2 et 5 actes), ingénieux suggestifs, empruntant un style sobre et de caractère, permet un coup d’œil heureux sur l’ensemble. La direction d’acteur pour valable qu’elle soit  n’apporte pas grande chose à l’action ou à la compréhension du texte ; les chanteurs ayant en commun une prosodie correcte et un sens du drame  authentique.

Vous parlerais-je de l’orchestre du Capitole de Toulouse mené tambour battant comme pour une revue de majorette ? Où une série de marches militaires… Jésus Lopez Cobos n’a pas beaucoup d’affinité avec le répertoire de Massenet. En fin de parcours, après pas mal de « loupés » dans l’accompagnement des chanteurs, à la fin l’orchestre jouait tellement fort que l’on entendait à peine Manon mourir !Je n’en dirais pas d’avantage.

Franchement !  Il y a  le maestro Jacques Lacombe  dont Massenet est la spécialité depuis pas mal d’années et qui y excelle ! Sans chauvinisme aucun je pense  que la dentelle musicale de cet orchestrateur magnifique mérite quelqu’un d’autre qu’un batteur de mesure.

Voilà ! Manon est passée. Sans grand charme. Ainsi nous voyons et entendons que les œuvres les plus connues et aimées sont les plus difficiles et les plus délicates à monter.

Un soir à l’opéra de Zurich nous assistions une de mes amies et moi à une représentation de cet opéra. A partir du premier entracte le quart de la salle était parti. Au second la moitié. Un chef d’orchestre dont je tais le nom nous a dit : Manon si c’est pas bien fait : vous videz la salle !

Amalthée

 



[1] Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut

[2] Ennemi juré des femmes

[3] Mort en 1869

[4]  De J.Offenbach à Vienne en particulier dont je conserve un souvenir impérissable et à Paris

[5]  Ariadne im Naxos de R.Strauss : New York, un DVD en atteste l’excellence. Paru chez Arthaus Music en 2010

[6] D’Offenbach

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Hélène Cadouin
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