Festival de Pâques de Salzbourg

 

Une photographie est un souvenir en hibernation qui nie l'écoulement du temps.”[1]

Première vue.

Émotion ou Nostalgie ? La restitution en forme de reprise de la production du Festival de Pâques de Salzbourg (1967) fut signée Herbert von Karajan.

De 1967 à 1989 Karajan le dirigea. Après sa disparition[2], intermède de G.Solti et direction de Claudio Abbado et Simon Rattle [3]. Ces deux derniers directeurs de l’Orchestre Philharmonique de Berlin qui assura tous les festivals de 1967 à 2012.

Sur le sujet infiniment national et local, une exposition pingre et chiche pseudo-historique. Orientée sur les quelques années dont les organisateurs se souviennent. Coupures de Presse… le film de Reichenbach, entretiens de diverses radios, au moment de la création du festival

Images et photos des décors. La visite prend une demi-heure dans une salle du Musée de la Nouvelle Résidence. Assez difficile à trouver.

On y trouve également qui ne manque pas de charme, un entretien filmé avec Vera Nemirova, nouvelle régisseuse. Le projecteur géant d’époque. Et un déroulé des photos de famille du maître.

À la fondation du festival menée tambour battant par Herbert von Karajan, répond une célébration sur un air de “vieille fille ayant oublié ses lunettes “Aucun véritable fil conducteur, pas de liste des 22 crus entièrement aux mains du fondateur.

Une évocation baignée de souvenirs présentés… que rassembleurs et archivistes n’ont pas été chercher bien loin… Ni longtemps.

Ce qui aurait été intéressant dans la généalogie d’un tel évènement : comment Karajan a-t-il pu accomplir la totalité de son projet ? Ou bien

que reste-t-il de l’esprit du festival ? Pas question !

Pour ce faire il aurait suffi de s’entourer de quelques journalistes l’ayant suivi et possédant – certes sur certaines années[4]en archives de nombreux témoignages tangibles. Pour ma part j’en ai suivi une quinzaine, raison de mon désappointement face à cette exposition.

Le Festival a perdu de sa substance originelle en devenant une “boutique “

Rien des motifs, état d’esprit du fondateur. Au lieu de faire revivre le projet on en “montre “les restes. La belle idée, fruit de la personnalité artistique de H.v.K est maladroitement évoquée. La Walkyrie par l’image et hop !

Pâques à Salzbourg devait être : le Maître et Wagner plus les Concerts. Et surtout le chef musicien qui se montre capable de mettre en scène.

Premier chef de musique classique à être regardé tel un play-boy ou une vedette de Hollywood. Ce que certains le lui reprochèrent ![5] , d’autres redoublèrent d’admiration assurant de leur fidélité et de leurs finances cet artiste complet qui, comme le dit un jour un de ses assistants : Emil Tchakarof : “il est un peu comme l’apprenti Sorcier[6] “pour lequel le temps est venu de faire des miracles “
Le public du Festival de Pâques se constitua à 70 %, par l’adhésion annuelle renouvelable au cercle des Membres fondateurs.

Leur désir : voir une production mise en scène par Karajan avec des décorateurs de choix, plus tard des régisseurs renommés et surtout assister à l’application de ses idées de mise en scène. Voilà qui attira son monde.

Le but principal portant d’abord sur Wagner naquit, presque certainement, dans l’imagination du chef après sa déception maîtrisée de ne pas avoir eu de place prépondérante à Bayreuth. Ce qui fut toujours impossible étant donné la présence de Wieland et Wolgang sur place[7]

Donc il fallait dépasser la barre à Salzbourg. Y régner en maître absolu non seulement avec les concerts mais avec l’art lyrique.

Certes Tocanini avait dirigé Les Maîtres  Chanteurs en Août 1937 à Salzbourg, mais la ville natale de Mozart et son Festival fondé par Max Reinhart en 1920 n’eut jamais vocation à représenter les œuvres du Maître de Bayreuth.

Herbert von Karajan avait étonné et conquis par la Tétralogie et Les Maîtres Chanteurs à Bayreuth lors la réouverture (1951), puis Tristan et Isolde 1952 [8]. Bayreuth aux mains de Wieland Wagner surmontait une crise majeure.

Les deux hommes ne pouvaient faire un long parcours ensemble. Wieland mettait en scène autant les œuvres de son grand-père, à Bayreuth et ailleurs que celles de Verdi et des autres compositeurs.

Mises en scène faisant appel à un public cultivé et connaisseur, capable de saisir que l’on ne pouvait plus négliger les apports du théâtre parlé et ceux du cinéma dans l’art de la représentation de toute œuvre lyrique de valeur dramatique majeure. La complète remise en question des décors et de la direction d'acteurs promue par Wieland fut une évolution incomparable dans ses années de l’après-guerre mondiale. Il épura et apura “la Représentation lyrique “En bannissant le kitsch et le pathos que des années de reprises dites dans la Tradition, de la Veuve Wagner Cosima, avaient fait porter aux décors et à la direction des acteurs. En cela il fut un novateur d’un caractère et d’une trempe exceptionnels.

Karajan de son côté fit aussi œuvre de dépoussiérage. Il se dégagea de la tradition dont Furtwangler fut le tenant impérieux. Une tradition aux instants sublimes et inoubliables mais devenue très lourde par ajout de significations supplémentaires. Le post-romantisme faisait peser sur les partitions de Wagner une sorte de délire mortifère amplifié par la prédilection pour Wagner qu’afficha Adolphe Hitler.

Karajan fut le chef de la rupture avec cette atmosphère menaçant le cas Wagner. Il insinua à nouveau et surtout dans les pays germaniques l’idée fortement poétique, proche de la nature[9] qui ressort des écrits de Wagner comme de ses partitions. Retrouver l’émerveillement de la jeunesse.

Le professeur Kurt Pahlen, comme l’organiste et compositeur Rafaelo de Barnfeld [10]qui furent des amis très proches de Karajan, rapportèrent souvent combien l’idée très visionnaire de Karajan revoyait à la baisse les pathologiques langueurs et longueurs de ses prédécesseurs dans les interprétations de Wagner. Karajan cependant pêcha par certains choix faibles de chanteurs : l’Isolde de Helga Dernesch par exemple.(1973)

Bref ! Alors que l’Allemagne est coupée par le Mur de 1961, donc écartelée et pauvre. Que Karajan n’est plus invité à Bayreuth malgré le souvenir impérissable que sa signature admirable y a laissé, et tandis qu’il est chef à vie de la Philharmonie de Berlin, dirige à Vienne comme à la Scala de Milan, il étanche son exigence d’accomplissement de l’œuvre de Wagner par ce Festival, dont il maîtrisa la chaîne de “fabrication “du spectacle.

Pour ceux qui connaissent l’œuvre de Wagner  ses riches et puissants écrits, Herber von Karajan obéissait à ce maître captivant et impérieux.

Une ambition absolue [11], Salzbourg y répondit.

 Voyons donc  cet anniversaire.

Recréation du décor de de Gunther Schneider Siemseni par Jens Killian en charge de nouveaux costumes.

La tentative d’actualiser, soit le projet Karajan soit l’œuvre de Wagner  étant forte, il y a cédé.  Ce qui n’a rien de très original, tandis que Vera Nemirova met en scène dans un esprit proche des sensibilités actuelles mais suit avec un instinct sûr l’oeuvre de Wagner.

Le résultat final , très proche de l’esthétique de Karajan est  dominé hautement, par la fosse.  Le magnifique Orchestre de la Staatskapelle Dresden (Dresde) a pris place sous la baguette de son chef Christian Thielemann. Et sans cette immense présence la signification de cette soirée  pèserait peu. La sonorité chaleureuse et naturelle des instruments, le jeu virtuose et inspiré de chacun des pupitres, la fusion impeccable des tutti et la parfaite cohérence de respirations instrumentales confèrent à cet immense ensemble une qualité de son et d’expression musicale incomparable seule capable  d’annoncer l’infini dans lequel  nous aspirons à entrer.

La distribution vocale est au niveau d’un théâtre de province en ce sens que trois rôles seulement sont véritablement remplis par des chanteurs à la mesure du défi wagnérien.

La Brunnhilde ( Walkyrie) de Anja Kampe manque de fougue et de caractère. La voix est carrément insuffisante dans l’aigu. Les “portamenti “(portés ) son faibles, la volonté de dominance peu affirmées. Le timbre impersonnel , peu coloré ne palie pas les insuffisances d’expression!

Certes Régine Crespin que Karajan engagea pour Salzbourg en 1967 était un soprano lyrique. Mais le maître pouvait se permettre de lui faire passer la barre de soprano dramatique compte tenu de sa personnalité trempée, par des finesses de direction et le “tapis roulant” orchestral dont il avait le secret.

Le Wotan de Vitalij Kowaljow suffit à peine aux deux premiers actes. Lui aussi manque de mordant et de caractère. Et pour le troisième acte la voix faiblit , les impreccations  trop mesurées et ni Brunnhide ni les spectateurs ne craignent que le Dieu des Dieux porte un message stupéfiant au monde.

La Fricka de Christa Mayer en revanche est impeccable vocalement, musicalement et scèniquement. Un caractère haltier, inébranlable, une diction, un jeu de scène parfaits. Elle incarne véritablement cette épouse bafouée qui ressort de son échange avec Wotan grandie, parce que obéie et donc admirable.

Le Siegmund de Peter Seifert  stupéfiant d’amplItude et de caractère nous rappele quel chanteur de haut niveau il demeure alors que les années ont passé! Il ne raccole pas le public, incorpore ses personnages avec une profonde conscience du drame, les anime au plus proche dans un fondu de sa personnalité et du rôle absolument sublimé. Son appel : Wälse…Wälse a transpercé les airs de douleur et d’imrecation et fut un moment magique dans l’infini du temps de la tragédie et de l’espace: J’ai pensé: enfin un “interprète “. La voix intacte, d’une jeunesse musicale  confondante . Acteur sympathique, naturel d’allure au tempérament fort qui s’unit à la Sieglinde d ‘ Anja Harteros dans le plus bel élan fougeux et desespéré d’un destin assumé avec courage.

Anja Harteros belle et mystérieuse Sieglinde. Frangile, émouvante dont la voix somptueuse, irradiée s’ accorde de la révolte à l’abandon d’amour et à celle de Peter Seiffert.

Ils forment le couple d’amour ambigu et sublime sur lequel flotte un moment l’éther élégiaque et puis fonce comme l’épervier le sort de la haine que cet accord parfait des coeurs, des âmes et des sens provoquent aux haineux, aux “gens rances et perverts “. 

Georg Zeppenfeld, assure un Hunding bref, rigide, froid. Un homme fruste et méchant. Belle voix qui manque de largeur dans les graves et d’expression ressentie avant l’émission vocale.

Un bravo unanime pour les solistes réunies en troupe de Walkiries. Neuf belles voix instrumentales, accordées à la perfection, passant d’un élan puissant , superbe et expressif l’orchestre.

Leurs interventions solistes, ensuite,  à la scène du Walhall fut moment de musique et de chant pur, parfaitement accordé.

Une réalisation globalement de grand allure. Surtout  grâce à Christian Thielemann à la tête de son orchestre. Précis, souple, investi, sensible et généreux, complètement dévoué à ses musiciens et à l’œuvre. Son engagement et sa foi en la musique de Richard Wagner ne sont plus à démontrer. Il relevait là un défi de taille, tenter de replonger cinquante ans après une partie des spéctateurs dans une époque révolue.

En écoutant et entendant les ultimes abonnés de la glorieuse époque de la Fondation du festival que j’ai eu le bonheur de rencontrer, la musique et le décor les ont transportés et l’illusion fut parfaite.

J’ai eu le privilège de prendre en route ce festival dans les années 75 et jusqu’à la disparition de son fondateur H.v.K, j’aime trop l’Orchestre de Dresde et Christian Thielemann pour faire une comparaison impossible. Le décor est superbe et très bien reproduit il démontre que Schneider Siemsen fut un immense réalisateur théâtral dont l’œuvre a bien vécu et convient aujourd’hui dans son naturel et son intemporalité.

Karajan est dans notre souvenir et d’autres musiciens qui l’admirent en sont consciament ou inconsciament les héritiers. C’est la loi de la vie.

On ne reconstruit pas une époque, on ne revient pas en arrière… J’ai exposé ce point de vue dans un récent article sur la biographie imaginaire de Karajan par Sylvain Fort parue chez Actes Sud. Je ne crois nullement aux réminiscences..

Tel quel le merveilleux de cette Cinquantième édition fut dans les concerts que je commenterai la semaine prochaine.

Amalthée

 



[1] André Hardelet . Le parc des Archers (1962)

[2] 16 juillet 1989

[3] tous deux successivement chefs de la philharmonie de Berlin

[4] ne serait-ce que les dix dernières années.Quoique un ou deux de mes confrères français et autrichien ont les cinquante festival à leur actif

[5] Comme Hanslick le célèbre critique Viennois déblatérait sur les dépenses et les robes de chambre de soie de Richard Wagner

[6] je rappelle que l’oeuvre est de Wolfgang Goethe

[7] petits fils de Richard

[8] Il existe des enregistrements inoubliables de cela reporté sur CD

[9] Karajan possédait la capacité intellectuelle parfaite d’un homme parfaitement instruit et cultivé en toute matière. Il aurait été ingénieur s’il avait entedu son père et sa curiosité pour les sciences et les techniques étaiit remarquable.

[10] J’ai connu personnellement les deux.

[11] L’Autriche n’était débarassée de l’occupation quadripartite de l’après guerre que depuis 1955 , elle était encore socialiste à 100%

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Hélène Cadouin
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