Avec un insistant regard vers Ludwig van Beethoven, sa colossale Missa Solemnis  et son Triple Concerto, le rappel de Carl Maria von Weber dont il faudrait penser à monter le Freischütz , la huitième symphonie  de Hans Werner Henze qui a quelque peu allégé la salle  nous avons aussi revisité   Romeo und Julietta de Tchaïkovsky, et écouté Les Préludesde Franz Liszt  revenus sur la scène après quelques longues années d’oubli[1].

La Missa Solemnis donnée le Vendredi Saint dirigé par C.Thielemann  à la tête de l’Orchestre  de Dresde se déploya  grandiose et pure. Pièce incomparable du répertoire sacré-à la hauteur de la Messe en Si de Bach -  composée par Beethoven entre 1818 et 1823.

Dédicataire : son élève et mécène Rodolphe de Habsbourg  élevé à la dignité d’archevêque de Olmutz en Moravie en 1818 et dont la cérémonie devait se dérouler en Mars 1820. Mais Beethoven était dans le climat d’une telle partition, désirant élever encore davantage son œuvre. Nous sommes juste avant la Neuvième lorsque la pièce sera achevée .

Pour ce travail dont il rechercha  la beauté et l’élévation il accomplit une lecture d’œuvres de Palestrina, des chants Grégoriens et de  pièces de la riche  bibliothèque de son élève.

Elle offre à l’orchestre et aux solistes et  aux Chœurs (ici ceux de  la Radio Bavaroise )un  vaillant et fulgurant morceau à chanter dans la ferveur et  le recueillement  d’une pensée sublimes  qui traduit  l’universel accord de la nature, du panthéisme  caractéristique du compositeur et de sa quasi certitude  en la mansuétude divine qui ne pouvait manquer à l’homme de bonne volonté.

Beethoven humaniste, homme éclairé pense à Dieu descendu pour partager le sort de l’homme. Une piété nimbée de révolte et d’exigence.

Christian Thielemann  dirige pièce dans l’esprit du temps. La  prière renouvelée d’un peuple de Dieu au travers de  deux  siècles de désenchantement progressif et inéluctable[2].  Quatre solistes en parfait accord avec  le style  spirituel et la diction latine de cette pièce qui  est la plus longue de Beethoven  [3].  Krassimira Stoyanova (Bulgare) soprano ,voix haute, tendue en souplesse  dont la force intérieure et la densité de couleurs s’expriment  en de lumineuses intercessions  planant sur l’orchestre. Passages de registre et  intervalles insoupçonnables et  solis  détachées de l’orchestre en volutes extasiées.  Christa Mayer Mezzo –soprano dévidant comme autant de perles ombrées des harmoniques d’un timbre et d’une expression bouleversants , Daniel Behle  ténor au timbre raide , insistant , ici parfaitement en place et  la basse Georg Zeppenfed dont le caractère vocal  souple et assuré allie un phrasé clair et une fierté d’expression communicative. On a retrouvé ce chanteur à l’avenir prometteur dans le personnage de Lodovico de l’Otello de Verdi donné le Dimanche.

L’orchestre de Dresde semble se plonger dans l’œuvre tel un navire toutes voiles déployées. Il aspire un vent du marge qui m’emporte au loin vers un oubli tant espéré.

Même investissement au bord de l’abandon des Chieurs de la radio bavaroise qui roule sur un océan de musique subjuguée.

Une  force  de persuasion irrésistible se dégage de cette interprétation sous la direction de Christian Thielemann. Ils sont ressortis émus et bouleversés , solistes , orchestre et chef. Le public également car le silence et la tension nous unirent au cours de ces deux heures passés ensemble au cours d’un  voyage immobile.  Au delà de la “relecture et de la vie redonnée à l’œuvre“ de Beethoven, c’est son esprit, son âme qui nous sont ouverts dans  un appel à se recueillir , à prier . Prier ?  Peut être  plonger en soi afin d’en dégager ce qui demeure de foi et d’espérance. La Missa Solemnis demeure la pièce  marquée du doute et d’espoir. Notre époque est aride sur le plan spirituel . Elle manque cruellement de ces instants que seuls des interprètes profondément concernés  peuvent accomplir. En ce sens le Festival de Pâques de Salzbourg qui donne à écouter une œuvre sacrée chaque année officie de manière heureuse.

Le second concert dirigé par C.Thielemann  réunissait une brochette de virtuose dans le Concerto triple de Beethoven . Anne Sophie Mutter célèbre violoniste[4] , Lynn Harrel violoncelliste originaire de New York dont la  carrure  remarquable en marge du snobisme donne chaud au cœur et Yefim Bronfman pianiste dont la forte personnalité rayonne à la manière directe et agreste d’un homme de la terre. Un triple Concerto  sans une ride et engageant. D’une vigueur  impétueuse unissant trois instrumentistes expérimentés, virtuoses et heureux de l’instant qui dialoguent en amis au cours d’un repas champêtre suivi d’un “colin maillard“ dans l’ombre   rayonnante des saules d’une rivière, quelque part non loin du Danube.

Tout y était l’éclat des timbres, la hardiesse des acrobaties instrumentales et la technique imparable de tous. L’orchestre jubilant à l’unisson et en concours, le chef émerveillé et complice. Et les tempi  parfois affolant et bientôt mesurés comme ces belles horloges anciennes sans raideur mais d’une justesse évidente de battement de cœur.

Une interprétation inoubliable 

La suite  nous emportait vers la Russie de P.I.Tchaïkovski et son brillant Romeo et Julietta dont Thielemann  révèle l’enivrante volupté et la tristesse fulgurante dans une interprétation magique.

Des Préludes de Liszt on retient que la pièce est inspirée en partie des poèmes Méditations de Lamartine. Virtuose et dense sur le plan instrumental elle entraine à la rêverie sans vraiment marquer l’auditeur. Liszt voulait lui donner plus de volume et de longueur. Voici l’un des premiers Poèmes Symphoniques de l’Histoire. Une musique décorative et idéale pour terminer un concert dont le niveau fut absolument exceptionnel.

Vladimir Jurowski et Rudolf Buchbinder furent les  complices enjoués d’un premier Concerto de Beethoven prodigieux. Un jeu digne des pièces de Joseph Haydn qui influence encore le jeune Beethoven . Et Buchbinder  allié à ce chef en apparence anguleux et pince sans rire,   suit et nous plonge dans un monde contrasté et interrogateur. Ce Concerto d’une virtuosité remarquable donne à penser et à deviner le futur géant. Il offre un moment presque sans tourment mais déjà parfois anxieux.

Nous avons aimé la rapidité de la direction de Jurowski , son empathie sobre face à l’orchestre et une maîtrise d’un style classique intense et brillant en couleurs nuancées.

Buchbinder dont on connaît la prédilection pour la musique de Beethoven en donne une lecture à la fois maîtrisée et chantante. Sa liberté d’expression et sa grâce d’interprète sont incomparables. Il est de culture viennoise et cela compte.

Salzbourg demeure à Pâques un grand rendez-vous. Mais ce sont surtout les Concerts qui valent le déplacement. Car pour l’opéra on ne voit pas bien en quoi les dirigeants actuels suivent la ligne imprimée par Karajan en 1967 !

Amalthée

 



[1] Les Préludes de Liszt furent laissés de côté par les chefs d’orchestre depuis la fin des années soixante au motifs qu’ils furent joués trop souvent en concert entre les deux guerres et après la seconde guerre mondiale.

[2] On appelle désenchantement la décroissance inéluctable de la ferveur religieuse dans le monde

[3] Ordinaire de la messe en cours avant la réforme de Vatican 2

[4] découverte à l’âge de 15 ans par Karajan en 1977 qui m’amena pour le Grand 2chiquier de J.Chancel en 1978 à Paris

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Hélène Cadouin
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