Henri Dutilleux

Janvier 1916- 22 mai 2013

Le dernier printemps du gentilhomme de la musique française l’a emporté

 Il s’est éteint au mois de Mai par un temps de printemps pluvieux et froid.

Lui qui aimait les poètes  au point de donner à ses œuvres des titres empruntés à la poésie  survivait difficilement, comme en apesanteur, après que Geneviève sa chère épouse eut disparu en novembre  2009. Il a rejoint  l’univers caché  que sa musique lui avait entrouvert dès ses premières compositions, comme en 1938, Chanson du bord de mer  sur un poème de Paul Fort.

Cet homme d’une parfaite courtoisie et d’une gentillesse extrême possédait un caractère d’une tempe exceptionnelle et d’une droiture sans affectation

.

Né à Angers  pendant la grande guerre alors que son père est à Verdun, il passe son enfance dans le Nord alors que sa famille rentre dans une maison ruinée par quatre années de guerre.

On père est imprimeur, instrumentiste amateur, Julien Koszul, son grand père fut un compositeur proche de G.Fauré.

Indépendant il commença sa carrière par des études classiques et musicales au Conservatoire de Douai (entré en 1929, puis au Conservatoire National de Paris, à partir de 1933.

En 1938 il remporte le Prix de Rome avec la cantate l’Anneau du Roi.

Puis il part à la guerre pour être démobilisé en 1940.

Chef des chœurs de l’Opéra de Paris en 1942 il entre au service de la Radio française en 1944 comme responsable des illustrations musicales.

En 1961 il répond à l’invitation d’Alfred Cortot qui lui confie la classe de composition à l’école Normale de Musique. Et à la mort de ce dernier  en prend la direction .En 1970 il devient professeur associé au Conservatoire de Paris .Dans le même  temps il est chargé de cours à  donner des cours au festival de Tanglewood (USA)

Geneviève Joy pianiste discrète et de caractère solide fut son épouse et son interprète dès 1946 fut chef de chant à l’orchestre National de France,  professeur de déchiffrage au Conservatoire de Paris et professeur à l’École Normale de musique de Paris.

Le couple très lié tant sur le plan professionnel que familial vivait sur l’île saint Louis à Paris entre son appartement et le Studio du maître où il recevait ses invités.

La disparition de Geneviève en Novembre 2009 affecta profondément le Maître qui bien que soigné et accompagné dans son grand âge par trois collaboratrices dévouées ne se sentait  plus le goût de survivre dans un monde devenu déserté par l’absence de sa chère épouse.

Membre de l’Institut, en 2004 il est Grand Croix de la légion d’honneur. En 2005 il reçut le Prix Ernst von Siemens.

La création de ses œuvres et les commandes qu’il reçut provint de personnages souvent illustres comme le violoncelliste Rostropovitch, le chef G.Szell, Simon Rattle,

L’Orchestre de Boston, Roland Petit, S.Ozawa, Fondation Koussevitzky, Orchestre de Cleveland etc.

Toute sa vie il refusa d’appartenir à un mouvementa une école ou à un cénacle. Son art, son écriture comme sa pensée sont dans la ligne des grands compositeurs de notre pays de Rameau, Berlioz, Debussy et Ravel. Une musique audacieuse, naturellement accessible au public et dénuée de faux intellectualisme, dans un siècle qui a vu tant de remises en question et tant d’inepties. Compositeur classique dont le style  relève de la continuité dans la façon  française, à cent mille années lumière de la dictature d’un P. Boulez et de ses suiveurs. Dutilleux a vu ses œuvres avoir  énormément de succès,

J’ai eu l’honneur de le rencontrer à trois  reprises, à Aix en Provence en 1970 lors de la Création de Tout un monde Lointain son concerto pour violoncelle et orchestre, à Salzbourg lors de la création de Correspondances en 2007 à la commande de Simon Rattle et l’orchestre de la philharmonie de Berlin  et en  février 2009 peu de temps avant la création à Paris de : Le temps l’Horloge sur des poèmes de Jean Tardieu et R.Desnos dirigé par S.Ozawa avec Renée Fleming comme soliste.

J’en garde le souvenir très fort  et impressionnant, d’un homme sachant  exactement ce qu’il pouvait faire pour vous aider et vous conseiller, comme il savait parler de ses œuvres et de son inspiration. Rappelons que les dernières ont été dédiées à la voix féminines avec deux cycles : Correspondances et Le temps l’Horloge.

Je lui dédie mon livre sur Serge Baudo, car non seulement il m’a aidée pour certaine pages mais  encouragée à l’écrire et à le terminer.

Voici un extrait du livre : la soirée de la Première interprétation de

Tout un monde lointain .Commande de M. Rostropovitch en Juillet 1970, cour de l’Archevêché d’ Aix en Provence

 

La nuit était très chaude, nous vivions à l’heure ancienne[1] e le public fut comme stupéfait de bonheur par cette œuvre. Partition  qu’il attendait telle  souvent une nouvelle œuvre, avec un certain détachement ennuyé…ou bien rempli de crainte.

Sauf quelques uns, curieux de la découverte.

Comme pour nombre de ses œuvres Henri Dutilleux tire une grande inspiration de la littérature.[2] 

Le titre , emprunté à La chevelure ,poème de Baudelaire annonce d’autres “instants “poétiques pris dans les textes [3] du même poète , le compositeur pour chaque ou partie de vers, inscrivant le mouvement.

H.Dutilleux  au moment de la composition se replongea dans Baudelaire, Fleurs du mal surtout, car :

Le violoncelle chante, et  par sa nature et par son timbre il  serait le plus propre

à servir de relais, de medium, entre l’univers baudelairien et le monde sonore pour tout ce qui s’identifie à ‘idée d’évasion -d’évasion par le voyage, par l’évocation érotique, par la drogue, ou même par l’exaltation mystique, si ambigu qu’ait été chez Baudelaire le sentiments religieux.

Ici, le dénominateur commun allait être  la femme, et les vers ou fragments de vers que le musicien a songé à placer en regard de chacune des cinq sections de l’ouvrage lui sont exclusivement voués“[4]

 I. Énigme(Très libre et flexible)

« …Et dans cette nature étrange et symbolique… », Poème XXVII.

II.  Regard (Vertige)[5] (Extrêmement calme) « …le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers… », Le Poison

III.  Houles(Large et ample)

« …Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve

De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts… », La Chevelure

IV Miroirs(Lent et extatique)

«Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux

Qui réfléchiront leurs doubles lumières

Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. », La Mort des amants

V. Hymne (Allegro)

« …Garde tes songes:

Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous! », La Voix

Les parties les plus chantantes sont confiées au Violoncelle soliste, donc à M. Rostropovitch.

Le violoncelle intervient surtout dans les mouvements lents, sollicité dans son registre aigu. Le deuxième mouvement est le plus fourni par l’orchestre, avec des retours arrière et des cuivres adoucis et comme encapuchonnés. De caractère atonal, la partition n’en est pas moins un long cheminement bruissant, lyrique et passionné.

Le public s’installa dans un silence immobile et les minutes s’écoulèrent de manière insensible.

En 1970, la poésie de  Baudelaire résonnait encore de manière vivace en nos âmes et sur nos sens comme faisant partie de nos connaissances incontournables ([6]) .Même à ceux qui par inclination  s’en étaient tenus à distance, elle pouvait parler. Elle faisait partie de notre mémoire commune, elle nous  touchait, ou peut–être se révélait capable, puisque nous étions invités au delà de son monde de nous –correspondre—.

Henri Dutilleux en élevant sa partition hors du temps, s’immisce à la création de Baudelaire par delà ses textes. Cependant il les tient comme filigranes, n’illustre pas les vers ([7]), mais tente d’éveiller par sa musique les harmoniques les plus secrètes. Motif pour lequel, ce nous semble, il choisit le titre de chacune des cinq parties.

Le flot du dernier mouvement consumé … L’orchestre et le soliste immobiles…le chef légèrement courbé en avant, nous attendîmes le mouvement frissonnant imperceptible qui se propage  des uns aux autres des musiciens aux podiums –du soliste et du chef- lorsque la partie est jouée.

Puis, le chef et le soliste, très émus s’embrassèrent… Et l’orchestre se leva.

Alors les applaudissements fusèrent.

Et ces quelques secondes comptèrent d’une manière inouïe.

À ce moment là, une page se tourna…Comme un avant et un après cette naissance.

Nous étions tous très ébranlés.

Nous attendions.

Quoi ? Nous l’ignorions, mais nous demeurâmes immobiles.

Et, ils dirent que certaines erreurs avaient été commises ![8]

Alors que l’heure avançait, personne ne devait avoir soif ou faim, car nous reprîmes tous notre place,  les musiciens aussi et le chef comme le soliste leur podium.

Et le concerto en entier fut rejoué.

Il y eut à un moment donné dira Dutilleux :

Des effets de miroirs et d’échos  dans les arbres et sur les pierres de la Cour de l’archevêché ([9]).H.D.

Henri Dutilleux au cours d’un récent entretien qu’il m’accorda à Paris dans son cabinet de travail parlait de cette soirée comme si elle s’était déroulée la veille.

Amalthée

 

 

 

 



[1] L’heure d’été entra en vigueur en 1974

[2] Ainsi, pour son opus de 2009, le Temps l’horloge créé le 7 mai 2009 au théâtre des Champs Élisée par Seiji Ozawa

[3] Fleurs du mal

[4] Extrait du Programme du Festival d’Aix en Provence, de la soirée du 25 juillet 1970. Collection de l’auteur

[5] Vertige est sur le programme de la création. Regard sur d’autres documents dont l’encyclopédie

[6] Baudelaire faisait partie des programmes scolaires au minimum du secondaire

[7] Au sens réaliste ou pictural du terme

(8) Rostropovitch

[9] Entretien de Henri Dutilleux avec l’auteur Février 2009

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Hélène Cadouin
dite "AMALTHÉE"

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