Chorégies d’Orange

Otello de Giuseppe Verdi

 Balayé par les promesses de  pluie et d’orages mises à exécution sur les coups de neuf heures, la représentation du 2 août fut reportée au lendemain.

Un pari très  réussi sur le plan visuel  et musical. Le film réalisé pour France 2 est  d’une très belle qualité dans sa captation et sa reproduction de la représentation. Lumières et décors pris avec soin afin que le téléspectateur entre avec naturel au cœur du drame sans être gène par la différence non négligeable que crée l’écran. Détails gestuels individuels et  mouvements de foule habilement saisis aux moments opportuns,  avec des angles d’approche parfaits et des vues générales amples et cependant précises.

Et d’entrée de jeu  sur le plan de l’interprétation musicale, applaudissons   l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui une fois encore s’est montré d’une rare magnificence. Inutile d’entrer dans le détail des  cordes et de solistes instrumentaux ! À  chacun et à tous  les pupitres il faut déposer un bouquet de fleurs !

 

Car rarement une telle somme de talent et d’imagination recréatrice commune aura si bien produit  l’impression de parfaite harmonie avec cette partition et ce goût lyrique passionné, tissé au travers des notes comme autant grains authentiques de l’œuvre verdienne. La tempête de la première scène en rage  fulgurante, tonnante mord  crûment l’atmosphère, laissant passer le saccage des vagues décuplées en  des tourbillons  de vent strident que rien ne semble pouvoir endiguer. Le navire du Maure entre dans l’arène et le public peut craindre de le recevoir en plein front, tant la tension et l’intensité montent à l’unissons des chœurs et des instruments. L’apaisement de la nuit viendra freiner et adoucir les flots de musique et de chant et tout au long de cette fresque lyrique tragique  le chef Myung Whun Chung et l’orchestre déployèrent l’oriflamme de cette Venise aristocratique, magicienne et maîtresse des mers, dominatrice et intense dans ses projets qui nous revient telle un rêve, comme une tangible réalité tragique aux beautés éternelles. Cette sensation d’intemporalité et d’infini dans la beauté, que seule la musique[1] dirigée avec foi, conviction et sensualité (Bravo Monsieur Chung) peut donner à l’auditeur. Il est vrai que l’ultime chef d’œuvre tragique de Verdi  possède à la fois la force impérieuse de l’opéra et l’éloquence  inépuisable d’un gigantesque et dantesque symphonie.

Dans cette réussite les Chœurs ont particulièrement bien intégré l’esprit de l’orchestre et du chef.

Venons  à la mise en scène de Nadine Duffaut qui se déploie magnifique et sévère, dans un décor  farouche et raffiné. Emmanuelle Favre en excellente scénographe souligne avec subtilité les scènes intimistes et Katia Duflot a maintenu  les costumes de l’époque de l’histoire, bien que celui d’Otello apparente plus ce chef de la Flotte à un boucanier qu’à un chef de guerre de la Sérénissime ! Mais pour les autres personnages ils  consacrent les éléments essentiels  de la véracité de la tragédie demeurant inspirée de Shakespeare comme le voulut Verdi. Les acteurs sont conduits de main de maître et l’équipe de mise en espace [2] leur apporte un aide insigne au déploiement de leur talent d’interprète tant vocal que théâtral. Ainsi les déplacements  comme les scènes intimes se suivent dans  une naturelle  fluidité  et une  appropriation intelligente  de  l’espace scénique.

 

Venons en aux interprètes  et en premier au  rôle titre ; Otello dont Roberto Alagna fit la prise de rôle et  répété en concert à Paris[3] aux côtés d’Inva Mula, également présente à Orange. Pour mémoire en 2006, un disque signé Claudio Abbado réservait deux minutes au personnage verdien compilé avec d’autres airs[4]. Peu de paramètres ont changé dans la conception globale de ce ténor lyrique s’adonnant désormais à la musique légère [5] et à la production dramatique contemporaine donc  éloigné du  lyrico spinto et plus encore du ténor héroïque.

La quinte aigue comme le medium souffrent de notes détimbrées et le  manque d’unité et de densité de la gaine vocale  se traduit par  un phrasé pauvre en nuances expressives et cela depuis un temps certain[6]. Cet Otello  pauvre en musicalité effective crie, moins de la souffrance du personnage   que d’un manque d’appui  et d’une incapacité à traduire les affects  réels, malgré quelques moments qui rappellent les bonnes performances d’autrefois. Voici un chanteur  arcbouté sur la direction exceptionnellement favorable de Myung Whun Chung ! Ce qui n’a tout de même pas fait de son “Esultate“ le modèle de la décennie. Quant au plan scénique, Otello est bien plus complexe de caractère que cette image.

Au personnage de  Iago interprété par  Seng-Hyong Ko on doit accorder qu’il occupe une place de choix dans la distribution. Impeccable phrasé et expression noire, virulente haineuse  sans concession au maniérisme. L’expression  musicalement parfaire demeure  justement timbrée face aux violences et aux débordements accomplis en plein accord avec le texte et la partition.

Florian Laconi campe un élégant, efficace et toujours vocalement remarquable  Cassio. Enrico Iori se distingue par le caractère et la musicalité d’une voix généreuse, maîtrisée  et expressive dans un Lodovico saillant.

Nos cœurs ont battu pour la Desdemona d’ Inva Mula  éperdue et désemparée, d’une radieuse beauté blonde et céleste, portée par une force de caractère admirable. La voix aux aigus élégants et sans défaut plie et s’élance avec  des inflexions accordant un souffle d’une admirable qualité à une apparente fragilité au bord du sanglot .Puis soudain  surviennent  des  emportements de feu ! On craint de la voir s’évanouir …Et  elle fuse et s’empare de l’espace, la fièvre et la tension passionnelle de l’innocence cruellement bafouée passe l’orchestre… La voix flexible, extrêmement musicale exprime avec aisance la passion, la douleur, l’espoir…Elle habite cette victime d’amour et de vertu outragée par un butor. Elle accorde  ce pardon incroyable où peut être cet abandon à l’amour que l’on ne peut comprendre. Elle est ce sacrifice incarné  qui sait au delà de la mort retrouver la vie heureuse de l’enfance perdue.

Sophie Pondjiclis en Emilia est  parfaite musicalement et scèniquement .La voix ne bouge pas,  le timbre sensuel et doré se double d’une expression et d’un  phrasé  musical idéal.  Cette belle femme au physique généreux et épanoui joue ce rôle difficile avec naturel et énergie.

Depuis 1975 voici le quatrième Otello à Orange. [7]

Il ne lui a presque rien manqué.

Amalthée

 



[1] Ou la peinture mais c’est d’un autre sujet esthétique

[2] La scène d’orange est loin d’être une scène classique et il faut au (à la)  metteur en scène une capacité d’imagination cinématographique pour  faire avancer la foule de la première scène et certaines autres de cet ouvrage en ordre sous l’aspect d’un débordement dévastateur

[3] Salle Pleyel  juin 2014 voir internet

[4] DDG 2006

[5] Airs d’opérettes chantés autrefois par Luiz Mariano

[6] Voir article sur Turandot (Orange) en 2012

[7] John Vickers était Otello

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Hélène Cadouin
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